Saviez-vous que le Roi de la Lumière du cinéma français a vécu à l’ombre du Parc des Princes ? C’est pourtant rue du Ruisseau, à Paris (18e arrondissement) que naît, le 10 février 1909, Henri Alekan.

Issu d’une famille laïque, il déclare : « Toute mon enfance baigna dans le climat tragique des retombées de l’Affaire Dreyfus ». Son grand-père maternel, capitaine, a été rétrogradé parce qu’il défendait Dreyfus. Son père, ingénieur agronome, socialiste convaincu, a participé à la création de la Ligue des Droits de l’Homme.
En 1915, le père, mobilisé, meurt au combat, laissant son épouse et ses fils (André, Raymond, Pierre, Henri) désemparés.

Pendant des vacances à Villefranche-sur-Mer, spectateur d’un tournage d’un film américain en extérieur, le jeune Henri est subjugué par cette lumière lancée par le chef opérateur lorsqu’il prononce le mot magique « Light ». Cet évènement suscite sa vocation de faire du cinéma.
Développant sa fibre artistique, il devient, avec son frère Pierre, marionnettiste, écrivant des histoires de Guignol et fabriquant marionnettes et décors.
Étudiant au Conservatoire National des Arts et Métiers, à l’Institut d’optique de Paris, il poursuit son objectif en prenant des cours pratiques aux Studios Pathé-Cinéma de Joinville.

Pierre Braunberger (1905-1990)

Le producteur Pierre Braunberger l’engage, en 1928, comme assistant opérateur pour Deux balles au cœur, de Jean Milva. Henri Alekan apprend ce métier avec passion, puis part au service militaire.
Lorsqu’il en revient, les films parlent et la technique a évolué. Braunberger rachète les studios de Billancourt et reprend Alekan, qui est formé par l’élite des chefs opérateurs européens : Nicolas Toporkoff (1885-1965) et, surtout, Eugen Schüfftan, son « maître ».

Le chef opérateur Eugen Schüfftan (1893-1977)

Cadreur pour La vie est à nous de Jean Renoir en 1936, Quai des Brumes de Marcel Carné en 1938, il est promu chef opérateur (La danseuse rouge de Jean-Paul Paulin en 1937).
Créateur du premier syndicat des assistants opérateurs, il est, en 1936, initiateur des premières conventions collectives de la profession. Pacifiste et humaniste, il fonde, avec Germaine Dulac, Georges Franju, Henri Langlois, Pierre Cellier, Simone Dubreuilh et Henri Laspeyre, Mai 36, association promouvant un cinéma de qualité.
Mobilisé en 1939, prisonnier en 1940, il s’évade. Gagnant la zone libre, il est employé aux studios de la Victorine de Nice. Bricoleur de génie, il fait des miracles sur Tobie est un ange d’Yves Allégret (1941).

Les lois de Vichy sur le statut des juifs lui interdisent bientôt de travailler. Fin 1940, il fonde le Centre Artistique et Technique des Jeunes du Cinéma (CATJC), qui regroupe les professionnels du cinéma refusant de travailler pour les Allemands. Beaucoup de jeunes vont en devenir membres, afin d’échapper au Service du Travail Obligatoire.
C’est dans la résistance qu’il rencontre son chef électricien : Louis Cochet (1907-2001). Alekan collecte des informations transmises à Londres, notamment des images des positions allemandes à Marseille.

A la Libération, membre de la Commission Supérieure Technique, il fonde, avec Louis Daquin, la Coopérative Générale du Cinéma Français (CGCF) qui veut produire des films « exigeants ».
Ces activités ne l’empêchent pas, en 1945, de travailler, simultanément, sur deux films primés à Cannes : La Bataille du rail de René Clément et La Belle et la Bête de Jean Cocteau.

La bataille du rail de René Clément (1945)

En 1945, René Clément réalise La Bataille du rail en Bretagne. Pour la photographie, Alekan s’inspire des cinéastes russes, Eisenstein et Medvékine, pour donner un réalisme documentaire à ce film-hommage à la résistance des cheminots. L’idée de la scène finale des locomotives qui sifflent lui vient moment de l’exécution de résistants.

La belle et la Bête de Jean Cocteau (1946)

Jean Cocteau lui fait découvrir l’univers du Caravage, peintre qui va influencer durablement son travail. Pour La Belle et la Bête, le poète cherche des images hors du commun. Aux studios de Billancourt, Alekan éclaire ce conte avec une imagination féérique, notamment la scène des torchères s’allumant au passage du père de la Belle.

En 1946, dans Les Maudits de René Clément, Alekan relève de nombreux défis techniques : ce film en huis-clos se déroule dans un sous-marin, reconstitué aux studios de la Victorine, par le décorateur Paul Bertrand (1915-1994). Alekan met au point un système de boîtes de conserves servant de mini projecteurs, qui éclairent le visage des acteurs en intérieur ou, à l’extérieur, lorsque les filtres denses assombrissent la lumière du soleil du midi.

Les Maudits de René Clément (1946)

Alekan rejoint ensuite l’équipe d’Une si jolie petite plage d’Yves Allégret (1949), film noir avec Gérard Philipe. Pendant le tournage, Julien Duvivier vient l’embaucher pour la production anglaise Anna Karénine (1948). Duvivier lui conseille de partir à Hollywood. Mais Alekan déline la proposition. Il refuse aussi le poste du chef opérateur Georges Périnal à Londres, malgré le pont d’or offert par le producteur Alexander Korda.
Dans les studios de Boulogne flambant neufs, il participe à l’aventure des Amants de Vérone d’André Cayatte (1949).

Les Amants de Vérone d’André Cayatte (1949)

Suivent : La Marie du Port (1950) et Juliette ou la clé des songes de Marcel Carné (1951), Un homme à détruire de Joseph Losey (1952), Le fruit défendu d’Henri Verneuil (1952), Quand tu liras cette lettre de Jean-Pierre Melville (1953)…
Vacances romaines de William Wyler (1953), seule comédie qu’il ait éclairée, reste un excellent souvenir, placé sous le charme d’Audrey Hepburn.

Vacances romaines de William Wyler (1953)

À partir de 1954, Alekan passe à la couleur pour La reine Margot de Jean Dréville, Frou-Frou d’Augusto Genina (1955), Typhon sur Nagasaki coproduction franco-japonaise d’Yves Ciampi (1957), Casino de Paris d’André Hunebelle (1957), Le cerf-volant du bout du monde coproduction franco-chinoise de Roger Pigaut (1958), Austerlitz d’Abel Gance (1960), La princesse de Clèves de Jean Delannoy (1961), Topkapi de Jules Dassin (1964), Lady L de Peter Ustinov (1965), Triple Cross (1966) et Mayerling (1968) de Terence Young, La belle captive d’Alain Robbe-Grillet (1983) …

Dans les années 1970, les studios perdant de leur importance, Alekan poursuit une carrière internationale.
Avec Jean Painlevé, Max Douy, Louis Daquin, il crée l’Association française des directeurs de la photographie cinématographique (AFC), visant à donner des cours à ceux qui s’intéressent aux métiers du cinéma.

Henri Alekan, version Harcourt

Inspirateur du style des studios Harcourt, inventeur du système Transflex, il enseigne à l’IDHEC (Institut de Hautes Études Cinématographiques).

Dans son travail, il ne néglige aucun format :

  • Court-métrage : Un matin comme les autres de Yannick Bellon (1957), Avant le petit déjeuner de Raul Ruiz (1961), Le récit de Rébecca de Paul Vecchiali (1964), Pour la vie de Chantal Picault (1981) …
  • Documentaire : L’enfer de Rodin qu’il réalise en 1959, Versailles d’Albert Lamorisse (1967), 7 faux raccords de Raul Ruiz (1984), Notre nazi de Robert Kramer (1985), J’écris dans l’espace, tourné à la Géode par Pierre Étaix (1989) …
Alekan et sa caméra

César de la meilleure photo pour La truite de Joseph Losey (1983), Alekan est contacté par Wim Wenders pour un film sans moyens, L’état des choses, pourtant récompensé par le lion d’or de Venise. Le cinéaste tourne aussi Les ailes du désir (1987) avec Alekan, ce magicien des lumières qu’il considère comme l’ange du film.

Henri Alekan, Bruno Ganz, Wim Wenders : tournage des Ailes du Désir

Collectionnant les prix internationaux, Alekan travaille avec Amos Gitaï (trilogie des Golem, 1991-1993). Passionné par la lumière, il développe même l’illumination d’un escalier de Montmartre !
Il se retire dans l’Yonne où il décède d’une leucémie en 2001.

Le Cinéma Landowski de Boulogne-Billancourt est renommé Salle Henri Alekan, hommage mérité à ce Boulonnais, célèbre et talentueux !

2 réponses à « Henri Alekan, magicien de la Lumière »

  1. Exhaustif et bien illustré. Merci.

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  2. Exhaustif et bien illustré. Merci.

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