Micheline Presle (Studios Harcourt)

Une grande dame du cinéma français vient de nous quitter : Micheline Presle a rejoint le cercle fermé des actrices décédées centenaires : Paulette Dubost, Suzy Delair, Danielle Darrieux, Renée Simonot (mère de Catherine Deneuve et de Françoise Dorléac), morte en 2021 à 109 ans ! 

L’actrice qui déclarait : j’ai toujours aimé la vie et je l’aimerai jusqu’au bout, ne parvenait toujours pas à croire qu’elle avait atteint le siècle !

Et pourtant ! Née à Paris le 22 août 1922, Micheline Chassagne est la fille d’un négociant cinéphile qui fuit aux États-Unis pour éviter un scandale financier. Sa mère la met alors en pension où elle suit des cours de théâtre.

Cette grande timide fréquente les studios de cinéma avec son amie Corinne Luchaire. A 15 ans, elle décroche un petit rôle dans La fessée, film de Pierre Caron tourné aux studios de Billancourt !

Figurante, notamment dans Je chante, de Christian Stengel, avec Charles Trenet (1938), « Micheline Michel » obtient, en 1939, le rôle principal de Jeunes filles en détresse de Georg Wilhelm Pabst. Elle adopte le nom de l’héroïne qu’elle incarne : Micheline Presle est née !

Pendant la guerre, alternant théâtre et cinéma, elle profite du départ de Michèle Morgan pour les États-Unis et de la mise à l’écart de Danielle Darrieux pour confirmer son talent auprès de cinéastes de renom :

Avec Fernand Gravey (La Nuit fantastique, Marcel L’Herbier, 1942)

N’ayant jamais été salariée de la Continental, elle continue sa carrière après-guerre et enchaîne succès sur succès :

  • 1944 : Falbalas de Jacques Becker avec Raymond Rouleau, témoignage fidèle de la vie d’une maison de haute couture. C’est le film qui a donné à Jean-Paul Gautier l’envie de devenir créateur de mode.
  • 1945 : Boule de Suif de Christian-Jaque, qui oblige l’actrice à se « remplumer » pour correspondre davantage à l’image de la sensuelle courtisane…
  • 1947 : Le Diable au corps de Claude Autant-Lara qui provoque, à sa sortie, un énorme scandale (apologie de l’adultère…). L’actrice devient alors un véritable sex-symbol. Elle choisit comme partenaire Gérard Philipe qu’elle a découvert sur scène à Cannes pendant la guerre (elle avouera, plus tard, n’avoir jamais osé lui avouer qu’elle était amoureuse de lui). Pour sa prestation, elle obtient, en 1947, la Victoire du cinéma (ancêtre des Césars), catégorie meilleur rôle féminin. Et la carrière cinématographique de Gérard Philipe décolle, faisant de lui un monument du cinéma français.
Le Diable au corps (1947)

1947 : Les jeux sont faits de Jean Delannoy, sur un scénario de Jean-Paul Sartre, une œuvre originale et pessimiste qui n’a pas séduit le public.

Elle divorce du tennisman Michel Lefort, pour épouser, en 1949 à Hollywood, l’acteur et producteur William Marshall, séparé de Michèle Morgan.

Bill Marshall et Micheline Presle

Elle signe un contrat avec la Fox et tourne, en 1950, trois films qu’elle juge sans intérêt :

  • La belle de Paris de Jean Négulesco
  • Guérillas de Fritz Lang
  • La taverne de La Nouvelle Orléans de William Marshall

Le rêve américain la déçoit lorsqu’elle découvre le système hollywoodien. Contrairement à sa carrière en France où elle avait pouvoir de décision, elle ne choisit ni ses rôles qui lui semblent vite stéréotypés, ni le rythme des tournages. Les acteurs sont traités comme des pions, prévenus à la dernière minute de leur prochain contrat.

Elle prend sa revanche lorsque, venu ajuster les tenues du prochain tournage, le costumier constate que l’actrice attend un heureux évènement. C’est ainsi que Danielle Darrieux a hérité du rôle féminin de L’affaire Cicéron, de Joseph Mankiewicz !

Sa fille Tonie naît à Neuilly en 1951. Le couple se disloque : mère et fille regagnent définitivement la France. Le divorce est prononcé fin 1955.

Micheline Presle et Tonie Marshall

Après une nouvelle Victoire, meilleur rôle féminin pour Les derniers de jours de Pompéi de Marcel L’Herbier et Paolo Moffa, en 1950, elle reprend le chemin des studios européens, mais doit y retrouver sa place.

Micheline Presle et Georges Marchal

Privilégiant sa vie de famille, elle remonte sur scène, tourne moins. Elle apparaît dans deux fresques de Sacha Guitry : madame de Pompadour dans Si Versailles m’était conté (1954) et Hortense de Beauharnais dans Napoléon (1955), c’est d’ailleurs dans ce film qu’elle croise son futur complice Daniel Gélin !

Si Versailles m’était conté (Sacha Guitry, 1954)

Ne négligeant pas les classiques, cette lectrice compulsive incarne La dame aux camélias, de Raymond Bernard (1953).

L’amour d’une femme, de Jean Grémillon (1954) est un projet plus ambitieux : elle incarne une femme médecin qui s’installe à Ouessant : gagnant peu à peu la confiance des Iliens, elle devra choisir entre son métier et sa vie privée. Progressiste, Grémillon entend défendre la cause des femmes dans la France des années 1950. Féministe avant l’heure, l’actrice vit tellement ce rôle, qu’elle en épate ses partenaires.

Cette œuvre proche du documentaire par son propos et par ses prises de vues extraordinaires, n’a pas eu les faveurs du public, sans doute trop en avance sur son temps. C’est la dernière fiction réalisée par Jean Grémillon.

Comme beaucoup de ses collègues, elle tourne en Italie :

  • Les amants de la villa Borghèse, film à sketchs de Gianni Franciolini (1953), dans lequel elle retrouve Gérard Philipe
  • La maison du souvenir, de Carmine Gallone (1954)
  • Le château des amants maudits, de Riccardo Freda (1956)
  • L’assassin, d’Elio Petri (1961), avec Marcello Mastroianni

Et participe à deux films de Pierre Gaspard-Huit :

  • La mariée était trop belle (1956), avec Brigitte Bardot
  • Christine, de Pierre Gaspard-Huit (1958) qui lance le couple Alain Delon et Romy Schneider…

Galantes comédies, adaptations théâtrales (Bobosse, d’Etienne Périer en 1959) … La décennie se termine par un polar signé Joseph Losey, période britannique : L’enquête de l’inspecteur Morgan, avec Hardy Krüger (1959).

Micheline Presle et Hardy Krüger

Fin 1959, l’actrice rencontre Jean Gabin. Ils jouent ensemble dans Le baron de l’écluse de Jean Delannoy, adapté d’une nouvelle de Georges Simenon par Maurice Druon et dialogué par Michel Audiard. Le rêve pour Micheline Presle qui gardera un souvenir ému de la bienveillante générosité de Gabin à son égard.

Cinéphile avertie, spectatrice émerveillée, elle attend beaucoup de la Nouvelle vague. Mais personne ne la contacte, excepté Jacques Demy pour Les 7 péchés capitaux (sketch : La luxure, 1961), Peau d’Âne (1970) et L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune (1973).

Peau d’Âne (1970)

Jacques Rivette pense également à elle pour La religieuse (1966), aux côtés d’Anna Karina.

Dans les années 1980, des anciens de la Nouvelle Vague font appel à elle :

  • Claude Chabrol : Le sang des autres (1984)
  • Alain Resnais : I want to go home (1989).

D’Édouard Molinaro pour Une Fille pour l’été (1960) à Philippe de Broca pour Le Roi de cœur (1966), la décennie apporte à Micheline Presle un nouveau terrain de jeu : la télévision !

Elle y apparaît dès 1961 dans Le rouge et le noir, sous la direction de Pierre Cardinal. Mais c’est surtout Les saintes Chéries (1965-1970) qui la propulse sur la planète des stars populaires, avec son « mari » Daniel Gélin.  En 5 ans et 3 saisons, cette saga familiale accompagne l’émancipation des personnages féminins au cœur d’une société en évolution et fait les délices des soirées des téléspectateurs !

Terrasse, résidence Pouillon (Boulogne-Billancourt)

Tourné dans notre belle cité, résidence Salmson-Point du Jour (côté avenue Pierre Grenier) puis à Saint-Cloud, cette série, signée Nicole de Buron et mise en boite par Maurice Delbez et Jean Becker (fils de Jacques Becker), va révéler de jeunes acteurs : Coluche, Xavier Gélin, Tonie Marshall… Et des confirmés : Jean Yanne, Jacques Higelin, Pascale Roberts…

Il est difficile de rebondir après une telle gloire. Souhaitant diversifier sa palette, adepte de l’autodérision (La Gueule de l’autre de Jacques Rouland, 1974), l’actrice ose travailler avec les « trublions » du 7e art : Jean Yanne (Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, 1979), Jean-Pierre Mocky (Grabuge ! 2005).

Avec Charles Berling (Grabuge ! de Jean-Pierre Mocky, 2005)

Elle n’oublie pas la télévision :

  • Le voyage de Pénélope, de Patrick Volson (1995)
  • Mister Mocky présente (2009)

Passionnée de spectacles, elle rencontre, grâce à sa fille, des metteurs en scènes, au théâtre et à l’écran :

  • Jérôme Savary : Le boucher, la star et l’orpheline (1975)
  • Jean-Michel Ribes : Rien ne va plus (1979), Musée haut, musée bas (2008)

De sa carrière (150 films), l’actrice affirme : J’ai tourné avec des cinéastes et dans des systèmes très différents les uns des autres. On m’a souvent collé une étiquette de Parisienne un peu fofolle et frivole. Je pense avoir prouver que je pouvais m’aventurer ailleurs.

Elle n’hésite pas à faire confiance à de jeunes cinéastes ou à des amis :

  • Hugo Gélin, petit-fils de Daniel et fils de Xavier, pour son premier long-métrage : Comme des frères (2011)
  • Tonie Marshall dès ses débuts de comédienne (Les Saintes Chéries, saison 3…) et de réalisatrice : de Pas très catholique (1994) à Tu veux ou tu veux pas (2014), l’actrice encourage sa fille. Elle est particulièrement fière d’elle lorsque Tonie reçoit, en 1999, le César du meilleur film pour Vénus Beauté Institut.
  • Frédéric Sojcher qui lui offre de jouer son propre rôle dans un film étonnant : HH, Hitler à Hollywood (2011). Il s’agit d’un thriller, sous forme documentaire : une réalisatrice (Maria de Medeiros) voulant monter un film sur la vie de Micheline Presle, découvre, dans sa filmographie, un film oublié, tourné par un cinéaste disparu des écrans. S’ensuit alors une recherche frénétique de cette œuvre, dans le monde entier. Cette aventure historique donne également matière à réflexion sur le Cinéma.
Avec Maria de Medeiros : HH, Hitler à Hollywood de Frédéric Sojcher (2011)

Sojcher réalise en 2016 le documentaire :  Je veux être actrice, dernière apparition à l’écran de notre chère doyenne. Elle donne à la fille du réalisateur, âgée de 10 ans, un merveilleux conseil : pour bien vivre, il faut être curieux ! Est-ce là le secret de sa longévité ?

En 2004, lui est décernée un César d’honneur, amplement mérité, pour l’ensemble de sa carrière.  Elle devient, en 2010, Commandeure des Arts et Lettres. Le cinéma a été pour moi la plus belle histoire de ma vie ! explique-t-elle.

César d’honneur (2004)

Loin de l’image des grandes stars, Micheline Presle a su rester cette Parisienne toute simple qui, tout au long de sa vie, allait boire son petit café au zinc du coin, discutant volontiers avec les gens du quartier. Elle se rendait quotidiennement au cinéma pour découvrir de nouvelles façons de filmer, défendant avec ferveur les acteurs et les cinéastes de talent.

Intarissable sur l’histoire du cinéma et des arts, elle a partagé sa vie avec le peintre François Arnal, jusqu’au décès de ce dernier en 2012.

François Arnal (1924-2012)

Cette éternelle optimiste va pourtant subir la perte douloureuse de sa fille, Tonie Marshall, décédée en mars 2020. Mon bébé me manque. Je pense souvent à elle, avoue-t-elle pudiquement.

C’est à la maison Nationale des Artistes de Nogent-sur-Marne, en « famille » que Micheline Presle fête son 100e anniversaire : Avoir 100 ans ? Rien de spécial, déclare-t-elle malicieusement aux journalistes présents. Curieuse et amoureuse de la vie, elle ne cesse de répéter : c’est la vie qui m’intéresse. Ma mort ne m’intéresse pas !

C’est à Nogent-sur-Marne, parmi ses collègues, que le 21 février dernier, le clap de fin a résonné pour Micheline Presle.

Studio Harcourt

Dernière survivante des Trois Grâces du cinéma français, après les décès de Michèle Morgan en 2016 (96 ans) et de Danielle Darrieux en 2017 (100 ans), Micheline Presle a réussi le tour de force de se faire toute seule, sans mentor (Danielle Darrieux et Henri Decoin, Michèle Morgan et Jean Gabin/Marcel Carné/Marc Allégret) dans un métier réputé difficile pour les femmes.

Micheline Presle, Danielle Darrieux, Michèle Morgan

Son talent, sa personnalité et sa générosité lui ont permis de rester populaire de 1937 à 2016, durée exceptionnelle pour une artiste exceptionnelle.

3 réponses à « La doyenne du cinéma français s’en est allée »

  1. Avatar de Clauden Mercutio
    Clauden Mercutio

    Parfait ! Perfect !

    Aimé par 1 personne

  2. Belle présentation, complète et bien illustrée. Dommage que cette grande actrice n’ait eu que rarement l’ occasion de travailler avec de grands metteurs en scène – et pas dans leurs meilleurs films ; elle n’a eu qu’un seul film vraiment mémorable à son actif, « Le diable au corps », contrairement à Morgan et Darrieux, qui en ont plusieurs.

    Merci d’avoir rappelé cette carrière. Gilbert Guillard

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