La fréquentation est en baisse de 31% par rapport à septembre 2019, les gens ne vont plus au cinéma. Voici ce que nous lisons dans la presse, ce que nous entendons dans les médias. C’est une crise conjoncturelle, mais ce n’est pas la première crise que traverse le cinéma.
Il y a eu l’avènement du cinéma parlant où les salles ont dû entièrement se renouveler, l’arrivée de la télévision au début des années 50 avec cette question lancinante :
Est-ce-que la télévision allait tuer le cinéma ? La réponse est non, car elle s’est avérée être un partenaire de production et de diffusion essentiel.
Il y a aussi eu une autre crise de la fréquentation au début des années 90, avec une solution novatrice : l’arrivée des multiplexes. Le cinéma en a donc vu d’autres.
Mais pourquoi les spectateurs semblent avoir déserté aujourd’hui les salles obscures?

Les mesures sanitaires

Nos vies ont été bouleversées avec la crise du Covid 19. Le 15 mars 2020 est une date dont tous les exploitants, tous les distributeurs, tous les producteurs et attachés de presse se souviendront. Le gouvernement avait décrété jusqu’à nouvel ordre la fermeture « des lieux recevant du public non indispensables à la vie du pays« , propos du premier ministre Edouard Philippe. Je me souviens être allée voir Dark Waters le soir du 14 mars 2020 au Pathé Boulogne, et en sortant de la séance d’apprendre la fermeture des cinémas. Rideau pour tous. Ce fut une vraie incompréhension.

Le temps s’est écoulé avec la succession de confinements, mais également une accumulation de mesures sanitaires liées aux lieux culturels. On ferme une fois et puis une deuxième fois et le dernier James Bond, Mourir peut attendre est repoussé encore et encore. Une fois la réouverture des salles enfin effective, nous devions porter le masque et étions interdits de grignoter du pop corn, un énorme manque à gagner dans les profits liés à la confiserie.

Puis, le gouvernement a mis en place le pass sanitaire, une contrainte supplémentaire. Paradoxalement et heureusement, les pouvoirs publics en France ont accompagné financièrement tout les acteurs du secteur du cinéma, ce qui a permis de ne pas assister à des licenciements massifs. Dans les autres secteurs économiques, quand une entreprise installée depuis de nombreuses années déplore une perte de plus 30%, elle met la clé sous la porte. Le monde du cinéma est en cela une industrie préservée.

L’essor des plateformes

Pendant ce temps, le spectateur occasionnel, celui qui va en salle une fois par an, le spectateur régulier, celui qui y va une fois par mois et le spectateur assidu, celui qui y va au moins une fois par semaine, tout ce petit monde a été privé de cinéma pendant plus de trois cents jours. Comme c’est étrange, le spectateur aurait-il changé ses habitudes de consommation de produits culturels ? La réponse est oui, un grand merci aux plateformes (Netflix, Amazon, Apple TV) de nous fournir du temps de cerveau disponible dicté par des algorithmes. Disney + est arrivé dans le paysage économique français le 7 avril 2019, un miracle économique. Le point positif est que les plateformes participent activement au financement du cinéma et de l’audiovisuel et la création ne peut plus se passer de ces acteurs économiques.

Un système de financement unique au monde

Le prix de la place est en moyenne de 7 euros, mais ce n’est qu’une moyenne, et nous ne pouvons pas comparer un multiplexe et un cinéma mono-écran sous régie municipale ou même en délégation de service public.
Pour qu’un multiplexe soit rentable, selon Jérôme Seydoux, il faut attendre 3 ans.

Nous avons 6 000 salles en France, une richesse incroyable et une diversité de programmation. Les contraintes des salles de la petite et de la moyenne exploitation ne sont pas les mêmes que celles rencontrées par les multiplexes. Heureusement nous avons la chance d’avoir une production nationale et un système de financement centralisé unique au monde, ce que n’est plus le cas ni de l’Allemagne, ni de l’Italie par exemple. Lorsque vous allez au cinéma, il y a une taxe prélevée sur votre billet de cinéma qui se nomme la TSA et qui est reversée dans le pot commun du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée.
Cela permet une redistribution vertueuse dans tous les rouages du secteur. Il y a beaucoup d’autres mécanismes de financement qu’il faudra aborder dans une autre chronique.

La chronologie des médias garantit la protection des salles de cinéma, ainsi qu’une exclusivité de première diffusion dans la salle de cinéma. La France respecte la chronologie de diffusion après la passage en salle cinéma : le DVD et la VOD sont disponibles au bout de 4 mois, Canal+ dispose d’une diffusion à 6 mois, Netflix a négocié à 15 mois, Amazon Prime et Disney + sont à 17 mois et les chaînes de TV à 22 mois. La chronologie des médias va être renégociée prochainement à la demande de Disney qui, dans ces conditions, souhaitait priver les exploitants et les spectateurs de leur film de Noël. Quand, vous allez au cinéma, vous participez à la création de l’industrie cinématographique.

Fenêtre de diffusionNouvelle chronologieAncienne chronologie
Vente et location (DVD, VOD, Blu-ray)4 mois4 mois
Canal+6 mois8 mois
Netflix15 mois36 mois
Amazon Prime, Disney+17 mois36 mois
Chaînes gratuites (TF1, France 2, M6, Arte…)22 mois30 mois
(https://www.numerama.com/pop-culture/830137-comment-fonctionne-la-chronologie-des-medias.html)

Les films porteurs

Mais alors, comment faire revenir le spectateur en salle? Je crois que c’est le spectateur occasionnel qui a oublié de revenir en salle, mais j’ai vraiment de l’espoir quand je vois une salle pleine avec le film Novembre un dimanche d’octobre à 16h. J’ai vraiment envie de croire au retour des spectateurs. Alors oui, il faut plus de films porteurs avec une richesse scénaristique, peut être qu’Hollywood s’est un peu endormi et la fermeture des salles n’a pas aidé.

Cet été Top Gun : Maverick a remporté le jackpot avec plus de 6 millions d’entrées France et un résultat monde de 1 485 688 413 $. L’attente de cette fin d’année est Avatar 2 : la voie de l’eau, c’est le nouveau film de James Cameron qui est sorti le 14 décembre 2022. Avec 2 739 848 entrées pour sa première semaine, il fait plus fort que le premier volet sorti au même moment en 2009 (2 648 596). Pour mémoire, Avatar avait cumulé plus de 14 millions d’entrées France. La reprise du film le 21 septembre dernier a d’ailleurs généré plus de 500 000 entrées.

En France, nous attendons un film porteur comme Intouchables (plus de 19 millions d’entrées) ou un Bienvenue chez les Ch’tis (plus de 20 millions d’entrées), ou plus récemment Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? (plus de 12 millions d’entrées). Quelques films qui font déplacer le public avec plus de 1 million d’entrées en 2022 : Qu’est ce qu’on a tous fait au bon dieu ?, Maison de retraite, Super Héros malgré lui, Novembre, En corps, Ducobu président, Simone le voyage du siècle.
En 2023 sortira le nouveau film de Guillaume Canet, Astérix et Obélix, l’empire du milieu, qui devrait pouvoir fédérer ce public d’occasionnels. Il y avait aussi une attente pour les films Mascarade de Nicolas Bedos et Couleurs de l’incendie (d’après le roman de Pierre Lemaître), qui semblent partis pour ne pas franchir le fameux plafond de verre du million d’entrées. Au 21 décembre 2022, le film de Bedos cumulait 847 357 entrées après 8 semaines en salle, quand Couleurs de l’incendie en était à 731 270 après 6 semaines.

La création d’un tarif famille

Vous connaissez les cartes illimités solo ou duo qui donnent un accès aux multiplexes et à certains indépendants. Cela permet d’avoir un tarif raisonnable, mais cette offre n’est pas la solution pour le public occasionnel qu’il faudrait faire revenir en salles. La création d’un tarif famille dans les multiplexes pourrait êtres une solution intéressante et attractive pour un public qui trouve trop cher cette sortie de groupe.

L’éducation à l’image et le temps d’écran

Une mission que nous devons avoir avec les enfants, car le temps d’écran est devenu un enjeu dans notre société ultra connectée. La lecture et relecture de Serge Tisseron est indispensable : 3-6-9-12 apprivoiser les écrans et grandir. L’enjeu mondial est le temps d’attention et de concentration, ainsi que la perte d’imagination. Une société qui ne rêve pas est une société sans avenir. Il faut accompagner ses enfants au cinéma avec des films adaptés à leur âge et une longueur adaptée. Si vous êtes perdus, n’hésitez pas à demander aux médiathécaires. En ligne, la plateforme Benshi ou le site Filmages sont de bons repères.

Nous irons tous au cinéma

Le cinéma est un lieu où l’on se retrouve, où l’on partage un film ensemble. L’attractivité des cinémas passe par l’évènementiel, que se soit une salle mono-écran ou un multiplexe. Le public se déplacera pour un ciné gouter, un ciné philo, la venue d’une équipe de film, pour un ciné concert ou une projection en pellicule ou dans le cadre d’un festival. La salle de cinéma crée l’évènement et ce n’est pas un hasard si paradoxalement les plateformes Amazon et Netflix souhaitent posséder des salles de cinéma. Ce n’est bien sûr pas par rentabilité, mais bien pour le prestige du lieu.

Une réponse à « Le cinéma français dans tous ses états »

  1. D’abord, il y a certains films qu’on ne peut vraiment apprécier que sur grand écran, les films spectaculaires dans tous les sens du terme, qui devraient inciter même les plus casaniers à sortir de leur canapé. Il est certain que d’autres films auront plus de mal à attirer les foules, ne serait-ce que parce que la taille des écrans de TV ne cesse d’augmenter , de même que la qualité des vidéos-projecteurs. Le vrai cinéphile préférera toujours le grand écran, même pour « Ma nuit chez Maud », mais le spectateur occasionnel se contentera de sa TV pour un Sautet ou un Lellouche….Il n’y a guère que les films comiques qui échappent à cette règle du rapport qualité (satisfaction apportée par le film)/ prix (billet + temps de déplacement) ; tout simplement parce qu’on rit plus dans une salle avec 300 spectateurs que seul(e) chez soi….Le cinéma français dispose en effet d’un soutien institutionnel à nul autre pareil, avec ce revers de la médaille que l’on réalise parfois des films dont on sait d’avance qu’ils n’ont aucune chance d’être rentables (ce qui en soi n’est pas un argument), mais surtout pour lesquels on cède à un sentiment de facilité (« on a l’argent, alors pourquoi pas faire un film…. »), avec comme résultat chaque année de très gros flops : beaucoup de films français ne dépassent pas la barre des cent mille spectateurs.
    D’accord avec vous pour souligner l’importance de l’événementiel et de la création du sentiment de communauté, qui introduit une dimension supplémentaire et capitale dans le visionnement d’un film.
    PS Je suis bien conscient de l’importance du pop-corn pour les finances d’un cinéma….mais j’avoue avoir apprécié son absence momentanée…..
    Gilbert Guillard

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