En 2020, Ruben Alves a réalisé Miss, histoire d’un jeune homme hésitant entre les deux genres et s’inscrivant, pour réaliser un rêve d’enfant, au concours de Miss France. Scénario qui n’est désormais plus hautement improbable, puisqu’une réflexion semble amorcée quant à l’accès des transgenres à cet évènement. Le héros finira par atteindre le dernier carré des postulantes avant de se décider à se révéler au public. Sur le plan cinématographique, il y a peut-être une surabondance de gros plans censés créer l’émotion. Le film comporte aussi plusieurs personnages-clichés : le héros vit au sein d’une petite tribu de marginaux, avec une marchande de sommeil, deux travailleuses immigrés clandestines, un travesti prostitué au Bois, un noir et un arabe joviaux et aux activités incertaines ; et c’est la rencontre avec son ami d’enfance qui sera le déclic, ami devenu champion de boxe, l’opposé viril donc du héros ! Cependant le film séduit le spectateur, par son rythme allègre, par la grâce de l’interprète principal, le formidable Alex Wetter (ce qui peut en fait s’avérer à double tranchant, comme nous le verrons ensuite), et parce qu’il est porté par la thématique même de la transidentité, devenu un vrai sujet de cinéma de nos jours.

Tony Curtis et Jack Lemmon dans Certains l’aiment chaud

Celle-ci a connu de nombreux avatars cinématographiques et se décline selon divers canons. C’est le registre comique qui fut longtemps son expression favorite, depuis Chaplin en femme moustachue et de Certains l’aiment chaud (Billy Wilder,1959) jusqu’ à Chouchou (Merzak Allouache, 2002),en passant par La cage aux folles (Edouard Molinaro, 1978), c’est le travesti sous une forme risible qui est mis en scène.

Vincent Pérez dans Ceux qui m’aiment prendront le train

Mais il apparaîtra de plus en plus sous une forme dramatique ; réduit à un rôle secondaire, comme dans Ceux qui m’aiment prendront le train (Patrice Chéreau, 1995), ou à une fugitive apparition, qui certes éclaire d’un jour particulier Patrick Bouchitey et contribue à la symbolique générale dans La meilleure façon de marcher (Claude Miller,1976). Placé au centre du film dans Mauvais genres (Francis Girod, 2001) et dans Miss Mona (Mehdi Charef, 1986), il devient un élément moteur de l’action sans toutefois que sa nature fasse l’objet d’une introspection ou d’un questionnement extérieur, encore moins d’une réflexion sur sa motivation profonde. Du moins suscite-t-il alors soit la compréhension (Robinson Stévenin, jeune et sympathique dans le film de Girod) ou la compassion (Jean Carmet, vieillissant et tragique dans celui de Charef).

Cary Grant (à gauche) et Ann Sheridan dans Allez coucher ailleurs

La motivation peut être purement dictée par les circonstances.
Sur le mode comique, ce sera la fuite devant des gangsters, dans Certains l’aiment chaud, où Tony Curtis et Jack Lemmon intègrent un orchestre de femmes pour échapper à des gangsters, ou un stratagème dont usera Robin Williams pour revoir ses enfants dans Madame Doubtfire (Chris Columbus, 1994). Dans Allez coucher ailleurs (Howard Hawks, 1949) Cary Grant, est obligé, pour contourner une réglementation absurde, de se travestir en femme-officier pour pouvoir accompagner aux USA sa fiancée ; la chose est d’autant plus piquante qu’il était l’un des deux ou trois séducteurs patentés d’Hollywood à l’époque et qu’on voit des soldats commenter, négativement ou positivement, son allure féminine !

Gérard Depardieu, Michel Blanc et Miou-Miou dans Tenue de soirée

Cela pourra être aussi une stratégie pour trouver un emploi : dans Fanfare d’amour (Richard Pottier, 1935) deux musiciens au chômage se travestissent pour intégrer un orchestre féminin ; dans Tootsie (Sydney Pollack, 1982), Dustin Hoffman devient nounou, quand Didier Bourdon devient voyante dans Mme Irma (Didier Bourdon, 2006) ; dans Tenue de soirée (Bertrand Blier, 1986), Gérard Depardieu et Michel Blanc se livrent à des activités péripatéticiennes. Pour ces films, c’est la transformation d’acteurs de renommée mondiale pour un rôle totalement décalé par rapport à leur image qui va fasciner le public et donnera parfois un statut culte aux personnages qu’ils y incarnent.

Eddie Redmayne est The Danish Girl

La motivation sur le mode tragique, ce peut être la désertion, qui amène le héros à se travestir pour échapper aux recherches, comme dans Triple écho (Michael Apted, 1972) ou dans Nos années folles (André Téchiné, 2017), fondé sur l’histoire vraie de Paul Grappe, soldat devenu prostituée) ; deux films où le héros prend goût à sa vie en femme et la poursuivra, même une fois le danger écarté, avec à chaque fois une issue dramatique.
C’est pour une collaboration affectueuse avec son épouse couturière dans The Danish Girl (Tom Hooper, 2015 qu’Eddie Redmayne va peu à peu se sentir tellement en accord profond avec le vêtement qu’il a endossé uniquement pour servir de modèle, qu’il ira jusqu’à la réassignation complète, première historique (le film relate d’ailleurs en partie la vie de Lili Elbe, pionnière dans cette voie), et jusqu’à la mort.

Volker Spengler dans L’année des treize lunes de R. W. Fassbinder

Autre version dramatique de ce changement de sexe dans Une famille allemande (Oskar Roehler, 2004), où Agnès, l’un des membres d’une fratrie, va mourir en conséquence tardive de l’opération de changement de sexe. Dans L’Année des treize lunes (R.W. Fassbinder, 1978), Volker Spengler, transsexuel rejeté par tous sauf par une prostituée compréhensive est voué à la désespérance et à la mort.
Dans ces trois cas, le choix assumé de la transsexualité transforme en un destin tragique la vie du héros/héroïne, marquant bien le fait que ce choix n’en est pas vraiment un.

Melvil Poupaud, Laurence Anyways

Cette motivation proprement intérieure, pulsion vers la féminité, sera traitée de façon plus approfondie et éclairée lorsqu’elle est présentée d’emblée comme le point de départ du parcours du héros. C’est le cas pour dans Laurence Anyways (Xavier Dolan), qui ne recule pas, d’abord devant le bizarre, avec une tenue « mélangée », puis devant la perte de son emploi, pour vivre pleinement sa féminité intérieure. Pareille approche du sujet semble plus convaincante que celle dans Une nouvelle amie (François Ozon, 2014), où Romain Duris endosse les vêtements de sa défunte épouse plus par désir de surmonter deuil et solitude que par véritable « vocation », et les conserve ensuite en une variante du proverbe « l’habit fait la moinesse » ; Ozon avait déjà abordé dans son court métrage Une robe d’été (1996) le thème de l’effet psychique engendré par le port d’un vêtement du sexe opposé, présent dans de The Danish Girl et expressivement illustré dans le livre La robe de Robert Alexis. Effet que l’on retrouve même à des moments inattendus, comme par exemple lorsqu’un soldat travesti pour une pièce de théâtre de prisonniers évoque une sensation étrange, dans La grande illusion (Renoir). On trouve une approche un peu différente dans Les nuits d’été (Mario Fanfani, 2014), qui met en scène ce qui ressemble plus à un club de travestis du dimanche que d’authentiques transgenres.

Guillaume de Tonquédec, Les nuits d’été

On ne mentionnera que pour mémoire les films où un personnage traditionnel du cinéma est repris sous une forme féminisée, tendant le plus souvent à la parodie, mais pas toujours. Ainsi le célèbre récit de R.L.Stevenson se transforme en Dr Jekyll et Sister Hyde (Roy Ward Baker, 1971), version respectant les codes horrifiques de la Hammer, mais ne perdant pas sa vénéneuse ambiguïté, tandis qu’il tourne à la farce dans Dr Jekyll and Ms. Hyde (David Price, 1995).

A suivre…

Gilbert Guillard

Une réponse à « Quand IL devient ELLE (1) »

  1. […] usagers ont du talent ! Retrouvez ici, si vous l’avez manquée, la 1ère partie de cet […]

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