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Une variante très populaire dans le monde anglo-saxon est le film mettant en scène des drag-queens, où l’aspect spectaculaire domine l’intrigue, le héros principal se transformant alors en personnage culte. C’est le cas pour Tim Curry dans The Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975), pour Patrick Swayze dans Excentricités (Beeban Kidron, 1995) ou pour Terence Stamp dans Priscilla folle du désert (Stephan Elliott, 1994).
Ce dernier dépasse toutefois la dimension du travestissement pour donner une vraie profondeur psychologique au rôle, dans une quête désabusée de sa vérité et d’une relation amoureuse authentique face au flux inexorable du temps. Quant à Swayze, il donnera avec ses compères Wesley Snipes (!) et John Leguizamo une leçon de tolérance et de joie de vivre à une bourgade américaine.
On trouvera un petit équivalent à la française dans le court-métrage Beauty Boys (Florent Gouëlou, 2020), où deux jeunes amis, drag-queens amateurs, présentent dans leur village un petit numéro de rue qui va susciter une violente réaction de rejet chez d’autres jeunes. Une version très pessimiste sur l’histoire d’une drag-queen sera proposée par Joao Pedro Rodriguez dans le très insolite Mourir comme un homme (2009), à la fois expressionniste et symboliste.
Un moment-clé de ces films est celui où le transgenre se dévoile à son entourage ou est repéré par autrui. D’un côté il y a la situation extrême et purement comique, celle par exemple du mythique « Nobody is perfect », qu’assène le milliardaire amoureux à Jack Lemmon, qui vient d’arracher sa perruque et de clamer son statut d’homme pour se débarrasser de cet encombrant soupirant ; phrase devenue tellement culte qu’elle servit de titre à deux autres films, Nobody’s Perfect (Robert Kaylor, 1990) et Personne n’est parfait(e)/Flawless (Joël Schumacher, 1999), tous deux sur le même thème.
A l’opposé on trouve cet autre moment extrême dans The Crying Game (Neil Jordan, 1992), où Stephen Frea, membre de l’IRA en cavale, découvre la vraie nature de la femme qu’il courtise. La scène est d’autant plus forte que le spectateur, totalement abusé jusqu’alors par l’incroyable performance en chanteuse/coiffeuse de Jaye Davidson, fait alors lui aussi cette même découverte, et cela de la façon la plus crue, puisque le sexe est montré. La réaction d’autrui est souvent négative, soit carrément violente et brutale, comme celle de Frea, soit qu’une forte gêne empreinte de maladresse imprègne même les attitudes prescrites légalement et que des corps constitués s’efforcent de respecter tant bien que mal.
On ne saurait traiter le sujet sans évoquer Pedro Almodovar, chez qui les rôles de travestis et transsexuels tiennent une large place, de Talons aiguilles (1991), au titre évocateur, à Tout sur ma mère (1999) et La Mauvaise éducation (2004),et qui là sont abordés dans la lignée des réflexions de la sociologue Judith Butler dans Trouble dans le genre. Almodovar a en outre réalisé le film extrême sur la réassignation physique, puisque dans La piel que habito (2011), un protagoniste masculin se retrouve contre son gré, par la vengeance d’un chirurgien dévasté par la mort de sa fille, emprisonné dans le corps d’une femme, fort belle au demeurant : ou comment un rêve de transgenre se transforme pour lui en cauchemar.
Le choix de l’acteur pour de tels rôles est en soi un vrai problème, avec trois solutions différentes. Soit pour accentuer la crédibilité physique du personnage, on a recours à une femme cisgenre (personne dont l’identité de genre est en concordance avec le genre qui lui a été assigné à la naissance). Mais quelle que soit la qualité de jeu de Felicity Hoffman dans Transamerica (Duncan Tucker, 2004), de Claire Nebout dans la minisérie Louis(e) (Arnaud Mercadier, 2017) ou de Fanny Ardant dans Lola Pater (Nadir Moknèche, 2017), qui sont toutes censées être des transgenres, le spectateur bien informé ne peut s’empêcher parfois de penser qu’on veut lui faire prendre des vessies pour des lanternes…Soit on fait appel à un acteur masculin ; mais le risque, c’est qu’alors on applaudisse, au détriment de l’histoire, la performance même de l’acteur travesti – et donc surtout la maquilleuse ! Ce fut le cas pour Victor Polster dans Girl (Lukas Dhont, 2018), film qui abordait pourtant de façon volontariste la question de la transidentité et dont la controverse qu’il suscita illustra bien la difficulté de traiter sous ses multiples aspects ce sujet de société.
Le statut de l’acteur selon Diderot se heurte là à un mur ontologique incontournable. Faire jouer un personnage de transgenre par un non-transgenre, c’est, toutes proportions gardées, un peu comme faire jouer un personnage d’homme blanc par un acteur noir, ou l’inverse. Jean Genet a bien souligné, dans sa préface à la pièce Les Nègres, la dimension symbolique irréfragable d’un tel choix.
Bien qu’il y ait actuellement fort peu d’acteurs/actrices transgenres, leurs prestations ont la plupart du temps été saluées par la critique et distinguées par des prix. Tangerine (Sean S. Baker, 2015), où apparaissent surtout des non-professionnelles, obtint le Prix du Jury à Deauville. Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019), où Mya Bollaert campe avec brio une jeune transgenre en route à la fois vers sa nature profonde et vers un nouveau rapport avec un père hostile, incapable de comprendre et d’accepter l’évolution de son fils.
Dans Une femme fantastique (Sebastian Lelio, 2017), Daniela Vega incarne une courageuse employée de maison devant lutter pour ses droits après le décès subit de son employeur, et sa performance contribuera largement à l’oscarisation du film. Andrea Furet a obtenu le prix d’interprétation féminine à Luchon pour Il est elle, téléfilm de Clément Michel, 2021, qui évoque le changement de genre d’un jeune garçon, thème de la transformation devenu désormais récurrent.
Enfin une solution pour le moins originale fut proposée par le réalisateur Ed Wood, qui joua son propre rôle de travesti occasionnel dans son film Glen or Glenda (1953).
Il existe par ailleurs plusieurs films documentaires sur le sujet, tel Crossdressers, de Chantal Poupaud, ou Petite fille, de Sebastien Lifshitz ; ainsi que des séries télévisées, avec soit des acteurs cisgenres pour des rôles de composition (Jeffrey Tambor dans Transparent, Sarah-Jane Sauvegrain dans Paris, Chloë Sevigny dans Hit and Miss) ou d’authentiques transgenres (Laverne Cox dans Orange is The New Black, Jamie Clayton dans Sense8, des soeurs Wachowski, elles-mêmes transgenres), et d’autres que l’on trouve désormais également dans l’inoxydable série Star Trek !
La série Pose (Ryan Murphy, 2018-2021) marque un énorme tournant en mettant au premier plan un groupe de femmes transgenres, évoluant dans le milieu des ballrooms à New York à la fin des années 1980, sur fond d’épidémie de sida ; toutes sont interprétées par des actrices transgenres, de MJ Rodriguez à Indya Moore en passant par Dominique Jackson, Hailie Sahar et Angelica Ross.
Verrons-nous un jour des femmes trans jouer des femmes cis ? Et bien, c’est déjà le cas, même si c’est encore très rare et qu’il s’agit généralement de seconds rôles : Bibiana Hernandez (La loi du désir, Talons aiguilles et Kika de Pedro Almodovar), Claude-Emmanuelle Gajan-Maull (Climax de Gaspar Noé), Raya Martigny et Nana Benamer (A ton âge le chagrin c’est vite passé d’Alexis Langlois). Ces deux dernières sont, avec leur coéquipières Dustin Muchuvitz et Naëlle Dariya, de presque tous les courts métrages d’Alexis Langlois, qui met à l’honneur leur transidentité dans De la terreur mes soeurs ! Ce film évoque le joyeux trash de l’oeuvre de John Waters, qui a d’ailleurs mis en scène de nombreuses fois la drag-queen Divine dans des rôles de femmes cis (Pink flamingos, Polyester, Hairspray…).
C’est la production « grand public » qui a été ici majoritairement évoquée. Mais il existe un ensemble d’autres films peu distribués en France, visibles également dans des festivals spécialisés comme Chéries, chéris, à Paris, ou Everybody’s Perfect – au nom ironiquement évocateur – à Genève, et bien d’autres encore. Parmi la production, où les interprètes sont des transgenres, on notera les films primés Brooklyn Secret (Isabel Sandoval, réalisatrice et actrice), Indianara (Aude Chevalier-Baumel et Marcelo Barbosa, avec la militante transgenre Indiana Sequeira) ou encore Valentina (Cassio Pereira dos Santos, avec la jeune Thiessa Weinbakk), et pour la France Wild Side (Sebastien Lifshiz, avec l’une des rares actrices transgenres françaises à avoir figuré dans plusieurs productions, Stéphanie Michelini).
Le cinéma nous offre par ailleurs de nombreux exemples où « elle » devient « lui », mais ceci est une autre histoire…
Pour approfondir la question du genre dans la société, découvrez le livre de Marie Zamifehy et Aline Laurent-Mayard, Le genre expliqué à celles et ceux qui sont perdu.es (disponible dans le réseau des médiathèques de Boulogne-Billancourt).
Gilbert Guillard
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